Bo-Young avait 23 ans quand il rencontra cet artiste de deux ans son aîné.
Un chanteur compositeur interprète, future étoile montante de la Kpop d’après les médias. Un homme avec une belle gueule, un beau sourire, qui enchantait les foules et qui avait fait sombrer le pianiste dans un piège rondement mené.
Le chanteur lui avait dit qu’il admirait beaucoup son talent, qu’il cherchait un musicien de sa tempe pour l’aider à composer sa prochaine balade et que ce serait un véritable honneur pour lui de pouvoir écrire avec lui. Sa manager avait organisé des entrevues qui finissaient plus par ressembler à des dates qui surent faire chavirer le coeur du pianiste encore vierge de tout amour. Une première au beau milieu d’un Starbucks de la capitale du pays des matins calmes. Une seconde au studio où l’idol passait ses journées à écrire ses prochains succès. Une troisième dans la demeure de l’artiste, au beau milieu des quartiers huppés de Séoul.
Et ce fut la chute.
넌
약
해
빠
졌
었
던
날
완
전
히
바
꿔
놨
어
Onze mois.
Bo-Young avait passé onze putain de mois, enfermé dans cette putain de cave, de cette putain de demeure dans ce putain de quartier résidentiel où même ses cris les plus désespérés n’étaient audibles par personne. Sans doute aurait-il dû abandonner la vie plus tôt, sans doute était-il devenu fou à force de rester là, assis sur ce ridicule lit à ne plus savoir quand se succédaient le jour et la nuit.
Oui, il était resté là, enfermé derrière cette foutue baie vitrée, comme un animal de foire que le chanteur prenait le temps de contempler quand l’ennui venait le frapper. Il lui faisait écrire un livre sur sa vie sans qu’il ne comprenne pourquoi, il lui demandait de l’écouter parler de son passé, de son frère, mort d’une pneumonie ou d’un truc comme ça, de ses parents, partis eux aussi, des meurtres qu’il avait déjà commis, de la façon dont il le tuerait à son tour quand l'heure viendrait. Il était contraint de jouer sur ce sublime Steinway & Sons, pour un homme qui le menaçait de ne pas le nourrir s’il refusait de jouer.
Le pianiste était devenu un oiseau en cage, chantant ses plus belles lamentations pour son bourreau.
Mais là où beaucoup se seraient laissés mourir, enfermés derrière ce verre incassable, à ne plus avoir le moindre repère, à ne plus voir la lueur du jour ni l'éclat des étoiles, Bo-Young avait gardé cette flamme en lui.
Il était resté borné, il avait tenu tête à son ravisseur, il lui avait montré que, contrairement à ses précédentes victimes, il ne se laisserait pas mourir.
Bo-Young avait la rage de vivre.
Tant et si bien que le chanteur le poussa jusque dans ses derniers retranchements.
Il l’affama pour voir jusqu’où il pourrait tenir sans nourriture.
Il l'empêcha de dormir, soucieux de voir la déchéance que la fatigue apportait à l'âme humaine.
Il le tortura, curieux de l’entendre hurler, curieux de voir la souffrance décomposer son visage.
Et il lui brisa les doigts, un à un.
Il détruisit son outil de travail, ces mains, ces doigts détenteurs de ce talent sans égal.
Et il le replaça devant le Steinway, là, avec ses os morcelés, ses mains ensanglantées, le forçant à jouer à nouveau pour lui.
Les notes étaient fausses, le rythme était affreux, rien n'allait plus dans ces compositions de maître que le pianiste maitrisait pourtant sur le bout des doigts. Et il était là, à observer sa déchéance, le sang coulant sur les touches d'ivoire, les larmes roulant sur ses joues.
Bo-Young était comme ce petit oiseau à la langue coupée, incapable de s’exprimer à nouveau.
Mais il n’abandonna l’espoir de revoir le jour pour autant.
Il restait vivant, il refusait de crever, il gardait cette putain de rage de vivre qui le caractérisait tant.
Tant et si bien que le chanteur en eu assez de lui.
Il ne se brisait pas, il restait là, acerbe et désobligeant, comme si rien ne pouvait le faire changer. C'en était si lassant.
Là, à l’abri, derrière le verre de cette vitre qui séparait la cage du palace, il l’intoxiqua. Comme il l’avait déjà fait avec toutes ses victimes, un simple bouton, un gaz, quelques minutes, et puis plus rien.
Bo-Young n’était plus.