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Ah ça, Yeong Cheol n'avait pas bien compris cet attrait inattendu pour cet instrument de musique. Enfin, si, il avait directement deviné. "C'est pour une fille hein ?" Presque… Mais jamais EunJung ne l'avouerait. 

 

Les deux frères avaient passé des heures et des heures, à réviser des partitions ensemble sur le piano de la gare puisque leur famille n'avait pas les moyens d'acheter même un petit synthé, et même si Yeong Cheol n'y connaissait rien en piano, qu'il préférait sa vieille gratte qui prenait la poussière, il l'avait accompagné à chaque fois, à grignoter un sandwich pendant que son frangin galérait avec la lettre à Élise. Ils en avaient passé des heures, à simplement bavarder alors que d'autres attendaient le piano mais se ravisaient devant le regard peu avenant du plus vieux. Oui, c'était la belle vie.

Et EunJung progressait.

 

Bien vite, il avait montré son talent à l'homme qu'il aimait, d'abord des vidéos que son frère avait prises, puis des performances en direct dans la salle de musique dont le surveillant avait les clés. EunJung était fier de lui, fier de ce qu'il avait accompli, il avait des étoiles dans les yeux, des rêves plein la tête. Il se voyait déjà faire des duos à quatre mains avec le surveillant, mais l'homme avait fini par lui demander de lui dévoiler un autre type de doigté. 

Et les arpèges furent balayés par des soupirs étouffés par les mains du plus grand. 

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Quelques mois s'étaient ensuite écoulés. Yeong Cheol avait été mis en garde par les autorités et confié à un psychiatre, sans doute parce qu'il n'en était pas à son coup d'essai. Le surveillant avait été viré, car bien que l'établissement scolaire ne soit qu'un collège de quartier, ils avaient quand même une réputation à assurer, au moins un peu. Et EunJung ? Eh bien il n'était pas retourné étudier de si vite. 

Il était resté chez lui, cloîtré dans son coin, déçu.

 

Déçu de lui.

Déçu d'avoir sombré pour un homme.

Déçu de s'être fait rouler par quelqu'un.

Déçu d'avoir déçu sa famille.

Déçu d'avoir écopé de cette réputation de pute qui désormais lui collait à la peau.

 

Au mieux, il sortait encore parfois, jouer du piano à la gare, égayer les cœurs des autres pour sans doute panser les peines du sien. Oui, il continuait à jouer quelques mélodies puisque malgré l'incident, malgré ses motivations premières, Yeong Cheol l'avait toujours encouragé. Il lui avait dit qu'il pourrait rentrer dans un groupe, faire du rock, révolutionner la musique parce que lui au moins, il en avait le potentiel. 

Son aîné avait toujours cru en lui, il lui avait toujours montré un soutien sans faille et lui avait dit qu'il avait un réel talent. EunJung y croyait.

 

Ils faisaient encore parfois des virées, même si Yeong semblait de plus en plus bizarre. Il parlait dans sa barbe inexistante, disait des choses insensées et semblait souvent déconnecté de la réalité, mais en même temps, son boulot était crevant et jouer les darons sur son temps libre en plus de devoir bosser à l'usine pour pouvoir apporter un peu plus de sous pour la fratrie, évidemment qu'on finissait par fatiguer. 

 

Et puis le vingt-quatre décembre, tout éclata.

Les mois s'écoulaient. EunJung revenait souvent chez lui avec une écharpe pour couvrir sa fine gorge, été, automne ou hiver. Oh, Yeong Cheol n'était pas dupe, lui aussi avait connu ses premières amourettes, très tôt, mais même en taquinant son cadet, il n'avait jamais réussi à obtenir le nom de sa bien aimée alors que jusqu'à présent, ils s'étaient toujours tout dit. 

Quelque chose se tramait, il en était désormais certain.

 

Sans doute que la filature n'était pas la meilleure solution, sans doute qu'il aurait pu s'en abstenir, mais ces heures de colles ? Ce silence au sujet de ces quelques marques qui ornaient sa peau ? Sa façon d’être distant quand il essayait d’aborder le sujet de sa bien aimée ? Non, ce n'était pas normal. Et voilà qu'il s'était ramené dans son collège, celui-là même qu'il avait lui-même quitté en cours de scolarité puisque jugé trop perturbateur et irrécupérable même par les plus fins psychologues scolaires. 

Et voilà qu'il avait compris ce qu'il se tramait. 

 

Il avait vu EunJung se faire entraîner par cet homme bien plus vieux que lui, il avait suivi leur trajet jusqu'à des couloirs peu fréquentés, il avait entendu la cacophonie des touches d'un clavier où quelqu'un s'appuyait. Et son sang n'avait fait qu'un tour.

Cette porte qui le séparait de son frère et de son amant, Yeong Cheol l'avait forcée. Il s'en foutait qu'elle ait été fermée de l'intérieur, il s'en foutait de la résistance du verrou, il l'avait envoyée voler comme si ça n'avait été qu'un vulgaire morceau de papier. Le collégien était là, le cul à l'air, posé sur l'instrument qu'il s'était évertué à maîtriser pour cet homme entre ses cuisses, effrayé. Qu'est ce que son beau frère faisait là ? Pourquoi avait-il l'air si fâché ? Est ce qu'il lui en voulait ? Il n'avait même pas eu le temps de se poser toutes ces questions puisque le plus grand n'avait pas perdu une fraction de seconde pour envoyer son poing valser dans la mâchoire du surveillant, déboîtant sans doute cette dernière sans la moindre tendresse et lui hurlant de ne jamais plus s'en prendre à son frère. Que le plus jeune ait pu être consentant ou non, Yeong Cheol n'en avait rien à foutre. C'était clairement un abus de pouvoir et pour lui ? Oh il n'y avait aucune raison que son cadet ait accepté si vite de se dévêtir pour un autre. Il connaissait assez Eun pour le savoir n’est ce pas ?

Il l'avait pris dans ses bras, laissant là dans sa souffrance et son sang qui coulait sur sa peau, cet homme sans morale qui avait abusé des premiers sentiments d'un garçon encore innocent. Il l'avait pris et l'avait entraîné alors que déjà les curieux se pressaient au portillon pour découvrir ce qu'il se passait. Il l'avait pris et était rentré chez eux.

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